Centre de recherche sur la mondialisation

 

Chronique d'un massacre annoncé

 

Journée des femmes aussi en Palestine. Ce soir, elles seront nombreuses à pleurer

 

par Nathalie Laillet

Solidarité Palestine , le 8  mars 2002

Centre de recherche sur la mondialisaiton (CRM), globalresearch.ca    le 8 mars 2002


Commencer mon courrier par le traditionnel «bonjour»?

Non. Plus de trente Palestiniens ont perdu la vie depuis que le jour s'est levé. Non, ce n'est pas un «bon jour».

Arrivée dans la nuit, vers 2h30 du matin, je suis allée dormir chez une amie. On a papoté un bon moment. Elle m'a remise dans le «bain»... Vers 4 heures, le muezzin a appelé les musulmans à la prière et nous, nous sommes allées nous coucher.

Réveil vers 8 heures, juste à temps pour le journal en français sur «Radio Israël». Encore endormie, j'écoute les bombardements de Gaza, les morts de Gaza et Tulkarem. La routine, ou presque. Et puis, la journaliste annonce que les chars ont pénétré cette nuit dans Bethléem. Du coup, je suis bien réveillée!

Et les nouvelles s'enchaînent: Bethléem, Beit Jala, Beit Sahour. Les tanks y sont. Les F-16 ont bombardé encore une fois le mouqata'a, à savoir le QG d'Arafat. C'est à cent mètres de chez moi. Je pense à mes voisins et amis, à Émilie, Georges et leur maman. J'ai mal.

La journaliste continue: l'armée est à Dheisheh. NON!!!!!!!!!!!!!!!

J'ai presque les larmes aux yeux. La semaine, dernière je mourais d'angoisse pour mes amis de Balata, et cette fois ce sont mes amis, mes étudiants, mes gamins!

Des terroristes, les gens de Dheisheh? À d'autres... Ces gens-là m'ont accueillie comme jamais je ne l'ai été en France. Un bout de pain, du thé et un sourire, ça suffit. C'est ce que j'ai trouvé à Dheisheh. Des sourires. Et des rires.

Au moment où je vous écris, les yeux me piquent. Je les vois devant moi, mes amis. Je vois les gosses, je vois les shebabs. Je vois Ahmad, je vois les deux Maram qui me saluent en français, Rawan qui exécute une debka (danse traditionnelle) rien que pour moi.

Je vois Hanin et son petit bout de langue rose quand elle écrit. J'entends Mohammad raconter sa dernière blague et rire aux éclats parce que je ne la comprends pas. Je vois Azem et son équipe de foot, je vois Hamza et ses yeux qui brillent quand il me parle de sa fiancée, j'entends Mohammad me parler de sa énième petite amie et me dire que cette fois, c'est la bonne.

Je vois Wafa qui tchatche sur internet. Jihad qui prépare son voyage en Europe. Adeel qui me demande si je connais le dernier tube de pop arabe. Et Shadi qui revient de sa journée de boulot à Jérusalem. Épuisé, mais des rêves plein la tête. Des rêves de France et de musique.

Je les vois tous. J'entends leurs rires.

Où sont-ils aujourd'hui? Lesquels sont morts? Lesquels ne reverrai-je jamais?

Je suis à Jérusalem. Impossible d'aller à Bethléem. Le check est fermé. Ma maison est située à 100 mètres du mouqata'a (bombardé aux F-16) et à 200 mètres de Dheisheh (où l'armée d'occupation israélienne fouille, maison après maison, à la recherche d'on ne sait trop qui).

J'ai mal. Loin d'eux. Mes cadeaux pour eux dans les sacs.

À Jérusalem, l'ambiance est tendue. Peu de gens dans les rues. Les visages sont graves. «Khamse wa khamsin shaid!», annonce le responsable du café internet où je me trouve: «55 martyrs».

55 martyrs. Vous rendez-vous seulement compte de ce que cela représente?

Je ne sais pas qui est mort. J'ai peur d'en connaître. Je vais en connaître.

J'ai appelé un de mes amis tout à l'heure. Il habite Ramallah et travaille à Jérusalem. Je l'ai donc appelé, le croyant ici.

- Non, non, me dit-il. Aujourd'hui, je suis à Ramallah. C'était impossible de passer ce matin. Du coup, je suis parti accompagner une équipe médicale. - Tu es où, là ? - À Ramallah, au City Inn. Il y a des tirs. - Fais attention ! - Ne t'inquiète pas, on est assez loin!

J'ai peur pour lui. Depuis quelques jours, l'armée d'occupation tire délibérément sur les ambulances et a tué des médecins et infirmiers.

Mes amis vont mourir. À Balata, Dheisheh ou Ramallah.

Et j'ai mal.

Parce que ces «terroristes», ce sont mes amis les plus chers.



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