Ce que l'arm�e dissimule � l'opinion publique

par Amira Hass

Solidaires du peuple palestinien , le  31 janvier 2002
Centre de recherche sur la mondialisation (CRM), globalresearch.ca,  le  31 janvier 2002

 


Une m�re palestinienne et sa fille traversent une piste boueuse sous le regard des chars d'occupation. 

Vendredi dernier, un autobus s'est embourb� quelque part entre Morag, une colonie de la bande de Gaza, et Rafah, sur une mauvaise route qui court entre champs et vergers, serres et maisons en pierres diss�min�es parmi les terres cultiv�es. En fait, il s'agit plut�t d'une piste que d'une route, emprunt�e par les voyageurs apr�s que la route principale entre Khan Younis et Rafah ait �t� bloqu�e la veille par les Forces de D�fense Isra�liennes (FDI).

Une longue file de voitures s'est retrouv�e enlis�e derri�re l'autobus. Progressivement, les conducteurs et les passagers sont sortis des voitures pour aider � pousser l'autobus. Deux jeunes commenc�rent � discuter avec la seule femme qui �tait sortie de l'un des v�hicules. Tous deux racont�rent qu'ils �taient de Tufah, dans les environs du camp de r�fugi�s de Khan Younis (o� les FDI ont d�moli des dizaines de maisons l'an dernier), et qu'ils appartenaient � la marine palestinienne. Puis vint la question in�vitable, parle-t-elle h�breu? Et tout naturellement, avant m�me que son identit� professionnelle soit connue, ils continu�rent � bavarder avec la femme isra�lienne, r�pondant � ses questions � propos de leur vie, et lui posant eux-m�mes d'autres questions. La conversation ne prit fin que parce que, finalement, l'autobus avait pu �tre d�gag� de la boue.

Des centaines d'Isra�liens qui, certainement, aimeraient faire l'exp�rience de tels bavardages, en auraient l'occasion si seulement l'arm�e isra�lienne n'interdisait pas aux Isra�liens de p�n�trer dans les territoires autonomes palestiniens (Zones 'A'). Les imp�ratifs s�curitaires, et le besoin d'�pargner des vies humaines, paraissent �tre des arguments tr�s convaincants. Des Palestiniens ont assassin� plusieurs Isra�liens qui avaient p�n�tr� en Zone 'A' pour faire des achats ou aller manger dans une ville palestinienne. D'autres Isra�liens ont �t� kidnapp�s au cours d'innocentes excursions, et leur lib�ration a n�cessit� interventions et pressions. Malheureusement, un autre Isra�lien a �t� assassin� hier dans le secteur de Beit Sahour.

Mais ces arguments soi-disant raisonnables appellent trois commentaires :

1. Pr�s de 200.000 Isra�liens risquent quotidiennement leur vie lorsqu'ils parcourent les routes de Cisjordanie et de Gaza pour regagner leurs maisons dans les colonies. Les FDI ne leur interdisent pas de risquer leur vie et celles de leurs enfants. Bien au contraire - de jeunes soldats sont envoy�s risquer leur propre vie pour assurer la protection des colons. Pendant ce temps, 3 millions de Palestiniens sont soumis � un r�gime de bouclage, couvre-feu et si�ge, incarc�r�s en somme pour pr�venir toute possibilit� de br�che dans la d�fense des colons.

2. Des dizaines de milliers de jeunes Isra�liens risquent leur vie chaque ann�e en partant voyager dans des contr�es exotiques et dangereuses un peu partout dans le monde. Ils escaladent des montagnes enneig�es, font des randonn�es dans la jungle, visitent des �les ravag�es par la drogue. Aucune autorit� gouvernementale n'oserait leur interdire de tenter le sort dans ce genre d'aventures.

3. L'interdiction g�n�ralis�e de p�n�trer en Zone 'A' n'emp�che pas vraiment ceux qui veulent acheter un canap� bon march� ou un peu de haschisch de le faire. Mais elle restreint des centaines, si pas des milliers, d'Isra�liens qui en ont assez du filtre condescendant � sens unique par lequel les FDI font parvenir � la presse isra�lienne leurs d�clarations cent fois rab�ch�es. Il y a des Isra�liens qui sont convaincus que leur responsabilit� morale et civique les engage � surveiller ce que manigancent leur gouvernement et leur arm�e.

Si ces gens pouvaient p�n�trer en Zone 'A' et � Gaza, ils viendraient �largir le cercle des Isra�liens qui sont pr�ts � entendre autre chose que l'interpr�tation de la r�alit� donn�e par les FDI. Ils verraient - et expliqueraient ensuite - le v�ritable �quilibre des forces en pr�sence, qui est menac�, et qui exerce les menaces.

Ils verraient les dizaines de chars (chacun pesant plus de 50 tonnes) juch�s au sommet des collines surplombant les quartiers habit�s. Ils verraient les gens forc�s de franchir des foss�s pour se rendre au travail ou � la maison. Ils verraient les avant-postes blind�s d'o� les canons de mitrailleuses d�passent de chaque meurtri�re, et ils verraient les innombrables tours d'observation qui entourent les villes et les villages palestiniens.

Ils verraient de leurs propres yeux les champs et les vergers incendi�s jusqu'au sol par les FDI apr�s leur d�part. Ils se rendraient l� o� des dizaines d'enfants palestiniens ont �t� tu�s, et ils se rendraient compte qu'aucun enfant lan�ant des pierres ou m�me un cocktail Molotov n'aurait pu menacer les soldats depuis ces endroits.

Ils entendraient, peut-�tre m�me observeraient-ils, des soldats ouvrant le feu sur des habitants, des tirs dont les porte-parole des FDI ne font jamais mention dans leurs rapports. Ils verraient comment la Cisjordanie et Gaza se sont transform�es en immenses champs de forteresses et d'avant-postes, dont le seul but est de prot�ger les colonies.

Ces Isra�liens se rendraient l� pacifiquement, et ils s'en iraient pacifiquement, et ils en ram�neraient la preuve que la crainte mythique � l'�gard de tous les Palestiniens est non seulement sans fondement, mais qu'elle n'est r�pandue qu'� des fins de pure propagande.

Plus que tout, l'interdiction de p�n�trer dans les zones sous contr�le palestinien permet aux FDI de contr�ler de fa�on absolue la perspective de la r�alit� qui parvient aux Isra�liens. Elle permet au gouvernement de reporter ind�finiment le point au del� duquel de plus en plus de gens rejetteront in�vitablement la logique de ces politiques gouvernementales.

Malheureusement, la semaine pass�e, la Haute Cour de Justice a coop�r� avec l'arm�e et l'ex�cutif, en rejetant une p�tition d�pos�e par trois d�put�s du Hadash, qui demandaient � la Cour de forcer les FDI � les autoriser � se rendre � Gaza. Il n'�tait pas question d'un quelconque danger pour leur s�curit� mais, comme l'ont �crit les juges, l'�ordre public� aurait pu �tre perturb�.

En d'autres termes, tel est l'�cran confortable derri�re lequel l'arm�e et le gouvernement ass�nent � l'opinion publique une vision d�form�e de la r�alit�.

[ Traduction de l'article "What the army hides from the public" publi� le 16 janvier 2002 dans Haretz. Traduit de l'anglais par Giorgio Basile,  Email: [email protected] , 2002]


 

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